ÉCRITS SUR L’ART ET CRITIQUE

د.ت35 TND

Éditorial

Wissem ABDELMOULA

La critique, si on l’entend dans son sens littéral, renvoie à kritikos, capacité de discernement et, par prolongement, au verbe « critiquer », c’est-à-dire un examen méthodique, raisonné, objectif qui s’attache à révéler les qualités et les défauts et donne lieu à un jugement de valeur. La critique serait donc une posture intellectuelle qui se répercute dans la pensée critique, qui consiste à la concentration sur une question, l’analyse des arguments, la formulation et la résolution de questions de clarification ou de contestation, l’évaluation de la crédibilité des sources, l’élaboration et l’appréciation de déductions et d’inductions… Tout ceci ne peut se faire que si, dans un contexte artistique précis, il ne s’agit pas d’un jugement facile, sans connaître les présupposés de la compétence critique, c’est-à-dire éprouver l’œuvre visée par l’analyse esthétique et historique, par exemple. Il est donc nécessaire d’appréhender le domaine de l’art, ses productions dans leur contexte, pour exercer une critique. Seulement, comment donner un critère d’évaluation de l’art dans la nouveauté, lorsqu’au même moment ce critère s’efface de lui-même face à son inadéquation à définir les pratiques artistiques toujours plus singulières. L’idéologie de la nouveauté en art, et son revers, la fin présumée de l’art, s’échappent dans les pratiques et dans les discours. Peut-être, faut-il définir ce malaise de l’esthétique et la posture épistémologique qu’elle devrait incarner aujourd’hui ? Mais si la théorie de l’art est l’objectivation d’une manifestation de la subjectivité, il est alors difficile de la poser comme un système théorique, de même, si elle n’est que le résultat d’un processus de décision donné de l’extérieur, elle ne peut être une pratique. Pourtant, ces deux positions ne règlent pas une sortie d’une lecture historique de l’esthétique ; elles ouvrent à une théorie positive de la création, c’est-à-dire de la possibilité de la critique de l’art, comme les conditions de possibilité d’une théorie de l’art liée à l’origine d’un processus de créativité. A cette fin, des journées scientifiques ont été initialement organisées, dont les textes qui composent ce recueil sont issus[1]. Pour examiner cette thématique, quatre axes ont été abordés : Identifier le statut : critique et artiste au sein des changements sociaux et institutionnels au niveau local (en Tunisie), arabe et mondial, Importance de la Critique et des écrits critiques en arts visuels : fusion dans les industries culturelles contemporaines, Critique et écrits sur l’Art et leur relation avec les médias et Critique et pratiques d’art contemporain soumis aux exigences du marché de l’art : façon de les commercialiser dans les médias au niveau mondial.

Les réflexions de Amel BOUSLAMA sont un rapprochement qu’elle considère inévitable entre le travail du ver à soie et celui de l’artiste tuniso-suisse Fatma Charfi, qui en 1990, s’est mise à manipuler du papier de soie, technique initiée lors d’un stage dans l’atelier de textile de l’Ecole Supérieure d’Art Visuel de Genève. Elle appelle ce papier sorti de la force intérieure de Fatma, tissé à partir de son subconscient, comme de son héritage culturel, de son savoir-faire et son humeur « papier de l’âme ». Elle montre qu’elle est artiste transdisciplinaire, parce que se situant au-delà du cloisonnement des différents modes de l’expression visuelle : Fatma Charfi a réalisé des compositions bidimensionnelles, autant que des installations dans lesquelles sont présents ses « humanoïdes ». Amel BOUSLAMA s’attache à mettre en valeur que l’histoire de l’art se souviendra fort certainement de ses fameux « Abérics ».

Fatma SAMET, qui est plasticienne et enseignante à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Sfax, est aujourd’hui, à la tête de « Kerkenatiss » et a proposé des projets stratégiques en promotion du secteur de l’artisanat. En 2009, l’artiste a quitté l’enseignement supérieur en optant pour un départ anticipé à la retraite et crée « Kerkenatiss ». L’auteur explore ce nouveau monde à partir de ces recherches consacrées entre autres à la promotion d’un savoir-faire ancestral insulaire et se lance dans un projet ambitieux relatif à l’univers de la vannerie et de la broderie au point compté conjugué par les soins des insulaires. Selon Fatma SAMET « Kerkenatiss » est imbus des plus belles valeurs humaines qui produit et vend le fruit d’un travail fait dans la dignité et fonctionne en évitant de nuire le plus possible à la nature et aux autres. Elle a organisé des rencontres entre des artisans de l’île de Kerkenah et d’autres venant d’ailleurs pour échanger leur savoir-faire en impliquant de jeunes designers, des étudiants et des élèves de l’île.

Gérard DENIZEAU a accepté de s’interroger ici sur « La part de la presse écrite dans l’activation du scandale artistique ». « Ecrits sur l’Art et critique » qui ont fait l’objet des journées scientifiques de l’ATAV, est une proposition pour l’auteur de se permettre de pratiquer une certaine transversalité relativement aux quatre axes que nous avons déterminés et d’insister plus spécifiquement sur la nécessité de placer l’écrit critique dans sa double dimension sociétale et historique. « Il est donc évident que la force du scandale est en raison directe de sa publicité, le comble de l’indignité étant atteint dès l’instant où – ses échos en étant parvenus aux oreilles du grand public par l’intermédiaire de la presse – il devient, à l’image de la calomnie si plaisamment prônée par Beaumarchais dans son immortel Barbier de Séville, « un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription » ! », telle est la préoccupation principale de Gérard DENIZEAU. Selon l’auteur, « A-t-il fallu attendre la première moitié du XIXe siècle, qui coïncide avec le développement de la presse écrite, pour que le scandale pictural commence à déborder le cadre des cercles citadins ? »

C’est à la lumière d’un rappel du mouvement de la critique d’art qui était apparu avec les premières contributions de Diderot, considéré comme le premier critique d’art au sens moderne que Jameleddine BEN ABDESSAMAD a examiné des « écrits sur l’art » en insistant sur un aperçu historique. L’auteur met en exergue « la réflexion sur la critique contemporaine qui doit amener à penser aussi les frontières entre le rôle du commissaire d’exposition/curateur et le rôle du critique d’art. » Il considère qu’ « une œuvre d’art orpheline de critique sera une œuvre inachevée et un mouvement artistique sans critique ne sera aussi qu’une forme de culture inachevée. »

L’intention de Bernard LAFARGUE, par son article, est de tenter de mettre en évidence que « toute critique d’art se fonde sur un jugement esthétique émanant d’une expérience esthétique, qui, dans son idiosyncrasie même, est nourrie d’une certaine vision du monde. », ainsi que « tout critique d’art est donc un philosophe et tout esthéticien le porte-parole de ses propres goûts. » Le titre « Le rire cataclysmique dont naît l’art moderne et son critique d’avant partial, passionné et politique en quête de « manifeste » » tente alors de mettre en évidence, au travers de cette réflexion, deux parties sont de facto fortement corrélées entre elles« L’humour kitsch du Pop Part et ses critiques en philosophes pluralistes ou perspectivistes », ainsi que « L’humour kitsch d’un bouquet de tulipes de Jeff Koons nommé : Miss Liberty ». Les œuvres de Manet, de Andy Warhol et de Jeff Koons sont présentés et analysées. Bernard LAFARGUE inscrit ses réflexions dans un cadre théorique et tente de décrire comment « Le censeur voit parfaitement que ce qui fait la dangerosité de l’œuvre d’art, ce n’est pas tant son contenu que sa manière de mélanger les possibles et les genres avec une grâce intempestive en provoquant chez ses amateurs le désir de se déprendre d’eux-mêmes pour devenir ce(ux) qu’ils sont. », et tente d’élaborer sa vision de l’œuvre d’art. Son texte se situe dans le procès de questionnement sur la « critique ».

Des notions comme celles de « critique », de « technique », de « technologies », de « hégémonie », de « commémoration », de « art globalisé », de « modernité », de « avant-gardes », de « post-modernisme », de « moderne », de « patrimoine », de « art contemporain », qui tirent leur force d’évidence d’une longue tradition critique, sont problématiques pour Norbert HILLAIRE. L’auteur a proposé « La solitude sonore du critique d’art » comme titre pour son exposé et a précisé que dans ce texte il traverse les quatre thèmes qui forment l’étayage de ces journées scientifiques. Norbert HILLAIRE trouve que le critique d’art est un peu seul aujourd’hui, dans le vacarme que font autour de lui l’art contemporain et l’assourdissant marché de l’art. D’où cette proposition de titre, qui est une paraphrase d’un merveilleux essai de José BERGAMIN (La solitude sonore du torero). Partant de cette idée de la solitude du critique d’art, l’auteur invite à réfléchir sur la multiplication des exemples d’entrelacements entre les figures et les formes de l’art et de l’artisanat ; il s’agit ensuite de chercher pour le critique d’art, « peut-être, dans cette solitude sonore, dans ce silence d’êtres, d’objets, de techniques qui parlent en secret à travers les œuvres et les âges aujourd’hui, comme par-dessus le temps. »

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